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Deuil de son animal de compagnie : vers la fin du tabou ?

Temps de lecture : 6 min
Chien dans une rue avec la lumière du jour en automne
© Daniel Frank / Pexels

Près d’un foyer sur deux héberge au moins un chien ou un chat, selon une étude Ipsos réalisée en 2020, et devra donc inévitablement faire face à la perte de son animal de compagnie. Mais cette épreuve s’accompagne bien souvent d’une double peine : la douleur de la disparition du compagnon à quatre pattes ainsi que l’indifférence, voire la répréhension de l’entourage.

Incompréhension et stigmatisation de l’entourage 🌧️

Après que leur petit compagnon se soit éteint, il est encore difficile pour les personnes endeuillées d’en parler librement et de se confier auprès de leur entourage. Celui-ci peut ressentir de l’incompréhension face à cette peine immense ou n’est pas toujours empathique à ce genre de souffrance pourtant commune, la reléguant souvent à une douleur mineure.

Et si cette dernière n’est pas censurée, elle peut être minimisée, car considérée comme moins significative que celle d’un être humain.

En plus du chagrin, au vu des réactions peu compatissantes, il n’est pas rare de subir de la moquerie, du mépris de la part des proches ou encore d’éprouver de la honte à dévoiler l’importance du lien avec le compagnon disparu. Dans une publication scientifique parue en 2022 dans la revue CABI Human-Animal Interactions, deux chercheuses déplorent cette stigmatisation sociale autour de la perte d’un animal de compagnie (en anglais) et livrent des outils aux professionnels de santé pour un meilleur accompagnement du patient.

Du fait de l’impact que certains animaux ont eu dans la vie quotidienne et émotionnelle ou encore du contexte et des circonstances du décès ou de la perte (première expérience de deuil, responsabilité quant à la décision du moment de la mort, etc.), la douleur est bien réelle et valide. Et elle peut être aussi profonde – et parfois plus intense – que celle pour un proche.

Ne pas pouvoir exprimer cette souffrance, la maintenir dans le silence et le déni représentent des freins supplémentaires à la traversée du deuil, comme l’explique la psychiatre Marie-Ève Cotton pour le média canadien La Presse, peuvent isoler et entraîner des conséquences plus graves et douloureuses.

Il se peut également que cette disparition représente un véritable traumatisme et plonge les personnes endeuillées dans un état de choc émotionnel, voire une forme de dépression.

Comme le témoigne la psychologue et thérapeute Katia Kermoal dans le podcast Les Gens qui restent consacré aux animaux de compagnie, il n’est pas rare que des personnes consultent à la suite de la disparition de leur animal. Tout comme un deuil envers un semblable, cette expérience douloureuse peut réveiller certains traumas plus anciens et la personne n’est pas toujours équipée pour y faire ça.

☁️ C’est l’occasion de vous rappeler que si vous ressentez une grande détresse longtemps après la perte de votre animal, n’hésitez pas à consulter un professionnel de santé pour vous faire accompagner.

Demande de reconnaissance sociétale de la perte de son animal 📜

Reconnaître l’importance de son compagnon et de son attachement

La découverte de capacités cognitives et d’émotions complexes de nos compagnons à quatre pattes a rendu possible une meilleure prise en compte de leur individualité. Cela pourrait expliquer que de plus en plus de personnes demandent à ce que la validité de ce chagrin soit reconnue.

Marquer le deuil socialement serait également une manière de rendre hommage et d’exprimer la considération portée à son animal.

Le photoreporter Ross Taylor, connu pour ses reportages en Irak et en Afghanistan, a par ailleurs consacré une série de photos aux derniers moments entre des humains et leurs animaux de compagnie (en anglais, attention certaines images peuvent être difficiles) afin d’explorer le lien profond qui les unie.

Pour ce qui est des funérailles, Éric Baratay, historien spécialiste des relations humains-animaux, explique pour Le Pélerin qu’elles « marquent l’aboutissement d’un processus de revalorisation et d’intégration des animaux de compagnie commencé quelques siècles auparavant« . L’animal est aujourd’hui assimilé comme un membre de la famille pour 68 % des Français et Françaises selon Ipsos.

Accorder un ou plusieurs jours de congé pour débuter son deuil

Une Britannique a d’ailleurs fait la demande de deux semaines de congés après la perte de son chien Zac et se confie sur sa disparition pour sensibiliser les autres à ce chagrin.

En France, le Code du travail ne prévoit rien en ce qui concerne le deuil d’un animal. Et le parti animaliste (section 4. Protéger la famille de son programme) souhaite pousser une mesure pour l’instauration d' »une journée de congé pour deuil pour la perte de son animal de compagnie identifié auprès de l’I-CAD [identification des carnivores domestiques] ou de l’I-FAP [identification de la faune sauvage protégée]« .

Plus localement, cette demande a également été exprimée au moyen de la signature d’une « Charte pour la reconnaissance du deuil animalier par les employeurs publics et privés » signée par des élues et les syndicats CGT, SYNPER et FO de la ville de Suresnes (92).

Certaines entreprises ont déjà adopté cette mesure, notamment au Japon et aux États-Unis ainsi qu’en France, comme c’est le cas de la société Wamiz qui accorde un jour de congé payé à ses employés en cas de décès de leur animal.

Pouvoir reposer avec son animal

Mais cela ne s’arrête pas là. D’après un sondage Ifop pour Woopets réalisé en 2022, 68 % des personnes interrogées se déclarent favorables à la possibilité d’être enterré avec son animal de compagnie, ce nombre augmentant à 79 % pour celles et ceux habitant avec un compagnon à quatre pattes.

L’unique cas de figure où la pratique est possible est si vous habitez à la campagne et souhaitez être enterré sur votre propriété, autrement cela est interdit. Cette interdiction a été entérinée par une jurisprudence du Conseil d’État en 1963 alors qu’un couple avait souhaité placer le corps de leur chien Félix dans le caveau familial.

Depuis, des propositions de loi pour autoriser les Français et Françaises à reposer avec leurs animaux ont déjà été présentées à plusieurs reprises par des députés de différents bords politiques, sans jamais aboutir. Et il n’est pas non plus possible de faire figurer le nom de son animal sur sa pierre tombale.

Pour ce qui est de nos voisins européens, cette pratique est déjà instaurée en Suisse, en Allemagne ou encore en Grande-Bretagne.

Dans tous les cas, si cette loi est autorisée un jour, l’inhumation avec son animal doit être accordée par le maire ou la mairesse de la commune. Mais comme le confie à Ouest France Sophie Laddo, présidente de l’association Cookie Cat Cies qui a également lancé une pétition pour appuyer la proposition de loi, « [beaucoup] de personnes […] le font en cachette » et « [elle] demande juste à rendre légale cette pratique« .

Cependant, en plus des moqueries, d’autres obstacles se dressent sur le chemin. La nécessité de respecter « la dignité des morts » est notamment avancée (argument d’ailleurs présenté lors de la jurisprudence du Conseil d’État en 1963, mais sans que, pour l’heure, cela soit réellement explicité) ou encore celle de conserver une limite entre les humains et les animaux. La religion en fait également partie : certains estiment que le rite funéraire doit être réservé aux humains, alors même que dans la religion catholique, il est possible de faire bénir ses animaux de compagnie.

Comme le précise l’historien Baratay, les funérailles d’animaux ne sont pas nouvelles et, entre le Ier et IVe siècle après J.-C., les animaux sont inhumés au même endroit que les humains. Le rite s’est ensuite perdu avec la montée du christianisme et les invasions barbares, puis cette pratique reprend à partir du XVIe siècle. Les aristocrates et les bourgeois font construire des tombeaux pour leurs animaux, tandis que certains les empaillent.

Pratiques et rituels pour faciliter le deuil 🕯️

Différents dispositifs pouvant favoriser le deuil de leur animal sont parfois mis en place par les personnes endeuillées.

Avant la disparition de leur compagnon, mais sachant la fin prochaine dans le cas d’une maladie incurable et douloureuse, certains privilégient l’euthanasie à domicile, une pratique encore peu courante. Elle permet à l’animal de partir de chez lui, entouré des odeurs familières et de sa famille et à celle-ci de passer un dernier moment toute ensemble et d’exprimer plus facilement et sans retenue ses émotions.

Après le décès, et souvent pour commencer la phase de deuil, certains foyers rendent hommage à leur compagnon au moyen d’une cérémonie, par une annonce dans la presse – comme le proposent les quotidiens la Tribune de Genève et 24heures – ou encore via les réseaux sociaux. Ces derniers permettent d’exprimer le chagrin sans pour autant le présenter directement aux proches, tout en normalisant la peine et en facilitant la recherche de soutien.

Toujours sur la Toile, des cimetières virtuels pour animaux de compagnie, tel Animorial, permettent également d’exposer son chagrin de manière plus intime en échappant aux réactions d’incompréhension de leur entourage et de partager une émotion commune avec des inconnus.

Concernant le corps du petit compagnon, il est possible de se tourner vers son vétérinaire ou des professionnels d’obsèques d’animaux, et d’opter pour la crémation collective, l’incinération individuelle ou bien qu’il repose directement dans un lieu dédié. Dans le dernier cas, il peut être enterré dans le jardin ou sur autre un terrain privé ou bien dans un des cimetières pour animaux qui fleurissent un peu partout en France et offrent la sécurité d’un endroit durable et préservé.

Le plus vieux cimetière pour animaux de France a d’ailleurs ouvert en 1899 à Asnières-sur-Seine et recueille des chiens, des chats, mais aussi des lapins. Les nécropoles d’animaux ne sont pas toutes récentes. Elles existent depuis au moins des milliers d’années, comme le rappelle Juliette Cazes dans une vidéo consacrée à l’archéologie du deuil des animaux. Mentionnons d’ailleurs celle découverte dans l’ancien port de Bérénice en Égypte, vieille de plus de 2 000 ans.

📜 Selon l’article 98 des différents règlements sanitaires des départements, il est possible d’enterrer son animal de compagnie dans son jardin ou autre espace privé à condition qu’il n’excède pas 40 kilos et que la tombe se trouve à au moins 35 mètres des habitations et points d’eau. Au-delà de 40 kilos, selon l’article L 226-6 du Code rural et de la pêche maritime, il est obligatoire de faire appel à son vétérinaire ou à un équarrisseur afin qu’ils viennent récupérer le corps dans les 48 heures après le décès de son animal.

Enfin, certaines personnes souhaitent conserver un souvenir tangible de leur animal disparu : photos, urne funéraire, objet auquel il était attaché, touffe de poils, etc.

Cette demande de reconnaissance sociale du deuil de son petit compagnon exprime le besoin d’être accompagné dans la perte et de reconnaître qu’il ne s’agissait pas « que » d’un animal, mais bien d’un individu à part entière, avec sa propre personnalité, et avec qui une relation affective forte s’est tenue parfois durant de nombreuses années. Et souvent, cette expérience peut bouleverser lorsqu’elle révèle l’intensité de l’attachement.

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