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Et lorsqu’on souhaite arrêter le métier d’éleveur, on fait comment ?

Temps de lecture : 6 min
Un éleveur caresse une vache dans la campagne
© SimonSkafar / iStock

Précarité, épuisement, accumulation de normes, bouleversements écologiques, prise de conscience du bien-être animal sont autant de raisons qui amènent certains à souhaiter arrêter le métier d’éleveur et vouloir se reconvertir. Mais quelles sont les aides et pistes de reconversion professionnelle après l’élevage ?

Mal-être dans la profession éleveur 😞

En 2022, selon le baromètre social en élevage laitier, seul un tiers des éleveurs ont une très bonne perception de leur profession. Pire, d’après une étude sur la mortalité par suicide au régime agricole de la Mutualité Sociale Agricole (MSA), sur les résultats de 2016 et 2017, il y a une surmortalité par suicide dans l’élevage de bovins.

Ce mal-être s’est d’ailleurs fait ressentir à plusieurs reprises lors de mouvements de protestation agricole, comprenant aussi bien les agriculteurs que les éleveurs.

☎️ À rappeler, si vous êtes agriculteur ou éleveur et en situation de détresse psychologique, une plateforme d’écoute a été mise en place pour vous écouter au 09 69 39 29 19, ou pour discuter par tchat sur Agri’écoute (disponible 24h/24 et 7j/7). Vous avez le droit d’être aidé.

Des raisons multiples pour expliquer un malaise généralisé 🧾

La pénibilité et la charge de travail

Mentionnons tout d’abord les conditions de travail des éleveurs qui sont particulièrement difficiles : quantité importante de travail (environ 55 heures par semaine selon l’Insee dans son Portrait des professions sur des données datant de 2019), peu de temps libre et de jours de congé, énormément de stress, charge administrative et pénibilité accrues, grande amplitude horaire, etc.

Pourtant, malgré cet environnement professionnel éprouvant, on ne peut que constater une faible rentabilité de l’élevage.

Une grande précarité pour cause de revenus insuffisants

En plus de ces conditions, les charges sont importantes et de plus en plus élevées : alimentation des animaux, coûts de transport et d’abattage, achat de matériels, charges de structure, investissements pour être en conformité avec les normes sanitaires et sociales toujours plus nombreuses, dettes et, dans certains cas, main-d’oeuvre salariée, etc.

Or, les revenus ne suivent pas. Selon une étude de l’Insee sur le niveau de vie des ménages agricoles parue en octobre 2021, 25 % des éleveurs de bovins pour la viande et d’ovins, caprins et autres herbivores vivent sous le seuil de pauvreté, alors même que 4,3 milliards d’euros de subventions ont été versés pour l’élevage bovin en 2020.

Pour ce qui est de l’élevage de vaches pour la production de lait et de granivores (poules, porcs, etc.), les revenus sont plus élevés. Mais on observe une disparité selon les régions : ils sont bien plus faibles pour les exploitations laitières en Normandie que pour celles près de la frontière suisse et dans le massif jurassien.

Et bien que les prix des produits laitiers augmentent, les éleveurs n’en voient pas la couleur. Par exemple, sur une brique de lait, « la part reçue par un éleveur a baissé de 4 % en 20 ans, alors que celle des entreprises agroalimentaires a augmenté de 64 % et celle de la grande distribution de 188 % » selon la Fondation pour la nature et l’homme (FNH).

Tableau sur les marges du lait
Les marges du lait © Fondation pour la nature et l’homme

Un manque de considération

Peu considérés – voire décriés par une partie de la population et plus particulièrement pour ceux en exploitation intensive qui subissent une mauvaise réputation – et peu soutenus par les instances publiques, une grande partie des éleveurs se sentent également abandonnés.

Une vision incertaine de la profession

De par les dures conditions de travail et un contexte incertain, une part importante des éleveurs sont pessimistes quant à l’avenir de leur activité. De plus en plus de producteurs de lait ont pris la décision d’arrêter, tandis que d’autres s’inquiètent et/ou s’interrogent.

Cela pourrait notamment expliquer une partie du déclin du renouvellement des générations d’agriculteurs et d’agricultrices : en dix ans, une ferme française sur cinq a disparu. Cette baisse est continue depuis les années 70 et les élevages de bovins connaissent une chute de près d’un tiers, tandis que ceux des ovins, porcs et volailles se sont réduits de moitié.

L’urgence écologique oppresse les éleveurs

Et ce n’est pas tout, car le réchauffement climatique accentue cette situation critique. En effet, les éleveurs font partie des premiers impactés du changement climatique. Selon un rapport du Haut Conseil pour le Climat (HCC) sorti en janvier 2024, « les conséquences du changement climatique sur les rendements des cultures et de l’élevage sont déjà visibles, et vont continuer à s’amplifier. Le stress thermique entraîne des difficultés pour l’alimentation des troupeaux, et la chaleur a un impact négatif sur la santé animale, la nutrition, le comportement, le bien-être et la productivité des animaux, et la qualité de produits.« 

Sécheresses ou inondations, baisses de ressources alimentaires pour les troupeaux, dégradation des sols et des outils, augmentation de zoonoses*, normes plus strictes, etc., le dérèglement climatique risque de rendre encore plus difficiles les conditions de travail et de réduire les rendements.

À cela s’ajoute le fait que de plus en plus d’institutions recommandent de diminuer la consommation de produits d’origine animale : le HCC cité plus haut, le GIEC (en anglais), Grain et l’Institut des politiques agricoles et commerciales, l’Institut du Développement Durable et des Relations Internationales, l’Agence de la transition écologique, The Shift Project, etc. Et pour cause, l’agriculture représentait 18 % des émissions de gaz à effet de serre de la France en 2021, dont 59 % provenait directement de l’élevage.

Et cette évolution des pratiques alimentaires est déjà en marche : selon l’Agreste, en charge du suivi des données statistiques au ministère de l’Agriculture, les ménages achètent de moins en moins de viande pour leur consommation à domicile et, selon le baromètre Harris Interactive pour le Réseau Action Climat, 39 % souhaitent la diminuer dans les 3 prochaines années.

Pour répondre à l’urgence écologique, une réduction du cheptel bovin est en cours, mais son pilotage est défaillant et ne répond pas aux besoins d’une transition juste, comme le rappellent les faits économiques cités plus hauts. Or, ce rythme doit s’accélérer pour atteindre les objectifs fixés par la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC).

 📑 *Une zoonose est une maladie dont le virus/pathogène/bactérie se transmet entre différentes espèces animales, humain compris. Quelques exemples : la grippe aviaire, la maladie de la vache folle, le coronavirus, la rage, etc.

Une raison plus marginale amenant à vouloir arrêter l’élevage

Une autre raison, probablement plus taboue, amène certains éleveurs à cesser leur activité d’élevage : la condition animale.

Beaucoup d’éleveurs témoignent de leur affection pour leurs bêtes et parfois, même si c’est plus rare, de leur consternation quant à certaines pratiques d’abattage. Mais en raison des contraintes de productivité toujours plus importantes, ils ont de plus en plus de mal à répondre aux besoins fondamentaux de leurs animaux.

Et il arrive que cet attachement les amène et les motive à reconsidérer leur relation à leurs bêtes, et ne plus vouloir ni les exploiter ni les emmener à l’abattoir.

Les éleveurs se retrouvent dans une impasse 🔴

Mais si certains ont pu arrêter facilement leur activité d’éleveur, ce n’est pas le cas pour tout le monde.

Plusieurs difficultés se présentent, entre autres :

  • des fonds ont été engagés pour augmenter les bâtiments, les cheptels et outils agricoles ;
  • avec de telles infrastructures, il est difficile pour les éleveurs de s’adapter et d’envisager une reconversion ;
  • le remboursement des emprunts sera finalisé, parfois, à échéance lointaine.

Les éleveurs se trouvent alors dans un cercle vicieux et obligés de poursuivre leur activité.

Alors quand on souhaite arrêter l’élevage, comment fait-on et vers qui se tourner ?

Un collectif pour aider les éleveurs à se reconvertir 🤝

Aujourd’hui, il existe des dispositifs de droits communs pour aider à la reconversion des éleveurs, mais ils sont dérisoires comme le souligne la Cour des comptes : « 823 377 € en 2019, 636 80 € en 2020 et 483 600 € en 2021, c’est-à-dire moins d’un dix millième des aides de la PAC« .

Mais en octobre 2023, un collectif a vu le jour, Terres en transition, pour accompagner les éleveurs en reconversion souhaitant se tourner vers des productions végétales aussi bien rentables que durables et éthiques.

Il comprend deux structures : l’organisme français TransiTerra et l’association suisse romande Coexister. Comme l’explique Savoir Animal, elles ont pour ambition d' »accompagner des projets de reconversion vers des modes de production plus respectueux du vivant, alliant les humains, l’environnement et les animaux« , même si chacune a une position différente sur l’élevage.

Les fondateurs du collectif Terres en transition
Silvère Dumazel (TransiTerra) et Virginia Markus (Co&xister), les fondateurs du collectif Terres en transition © FairShot

Le média animaliste précise qu’à travers ce collectif, les associations souhaitent partager leurs savoirs-faire et leurs connaissances dans le but d’apporter des solutions sur-mesure aux éleveurs désirant opter pour une transition plus économique, écologique ou éthique. Leur objectif est d’accompagner les transitions vers des productions adaptées aux nouvelles consommations et en adéquation avec les impératifs écologiques d’aujourd’hui.

Toutes deux proposent :

  • un accompagnement psychologique et social ;
  • la construction d’un modèle économique viable, réaliste et réjouissant ;
  • un soutien administratif ;
  • une mise en lien avec des partenaires spécialisés selon les besoins ;
  • une relation publique et médiatique selon les situations ;
  • une recherche de solutions financières facilitant la transition.

TransiTerra, l’organisme non-lucratif français

Porté par une approche agroécologique et solidaire, l’organisme d’intérêt général TransiTerra s’adresse aux fermes-usines françaises et accompagne les agriculteurs et agricultrices en difficulté économique vers des productions durables, rentables et résilientes.

La structure propose des solutions techniques de transition : accompagnement vers des productions végétales (comme le chanvre ou micropousses) ou champignonnières (shiitakés, pleurotes ou encore champignons de Paris) tout en réutilisant les ressources et bâtiments à disposition.

L’organisme se présente également comme un intermédiaire entre un éleveur qui souhaite transmettre son exploitation et des porteurs de projets agroécologiques.

Coexister, l’association suisse

Coexister (Co&xister) est une association suisse, antispéciste et écologique. Reconnue d’utilité publique, elle oeuvre pour la cohabitation entre humains et animaux. En plus d’autres missions, elle accompagne les éleveurs et éleveuses dans leur reconversion professionnelle lorsqu’ils souhaitent arrêter l’élevage d’animaux pour des raisons éthiques ou écologiques.

Coexister est spécialisée sur des élevages de type extensif et a déjà accompagné près d’une dizaine d’éleveurs en Suisse, dont les ex-éleveurs et fondateurs de la boulangerie Aux pains sans peines.

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