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La chasse est-elle un sport ?

Temps de lecture : 7 min
Un chasseur de dos avec un chasuble orange
© Matthew Maaskant / Unsplash

La France compte 963 571 licenciés du permis de chasse sur la période 2022-2023 selon la Fédération Nationale des Chasseurs.

Pour ses défenseurs et pratiquants, la chasse est une tradition à conserver qui permettrait de répondre au besoin d’être relié à la nature, de réguler la faune sauvage, voire de maintenir des emplois.

Parmi les arguments avancés, certains la considèrent également comme un sport : « chasse sportive », « sport de prédation » ou bien même « sport cynégétique ». Mais peut-on vraiment affirmer que la chasse est une pratique sportive ?

Qu’est-ce que la chasse ? 🥆

Revenons tout d’abord aux bases.

Le Larousse définit la chasse comme l' »action de chasser, de guetter ou de poursuivre les animaux pour les prendre ou les tuer« . L’action de chasser en elle-même consiste à « déloger quelque chose, faire partir quelqu’un, un animal, les éloigner du lieu où ils se trouvent« .

[Dans cet article, nous ne mentionnerons pas le cas du safari et, à la place, nous vous renvoyons au travail de Maxime Michaud sur cette question.]

Quelle est la chasse la plus pratiquée ?

La chasse englobe différentes pratiques et selon l’Office Français de la Biodiversité, la chasse la plus pratiquée est la chasse à tir, c’est-à-dire avec une arme à feu.

Viennent ensuite d’autres modes de chasse :

  • la chasse à courre, à cor et à cri (ou vènerie) : cette chasse consiste à poursuivre un seul animal sauvage (cerf, chevreuil, sanglier, renard, lièvre ou lapin), à pied ou à cheval selon la taille de l’animal chassé, avec une meute de chiens. Selon AVA, l’animal peut mourir de différentes façons : en s’arrêtant à force d’épuisement – c’est d’ailleurs le but des veneurs -, en étant attrapé et déchiqueté par la meute quand il s’agit d’un petit animal, en étant tué à l’arme blanche, en se noyant, en étant percuté par une voiture ou en ayant fait un arrêt cardiaque (comme l’explique France 3, ce type de chasse a été aboli dans plusieurs pays comme au Royaume-Uni en 2005 ou en Allemagne en 1934, et interdit pour 5 ans dans la forêt d’Avaugour en Bretagne en 2021).
  • le déterrage (ou vènerie sous terre) : il consiste à attraper des renards ou des blaireaux directement dans leur terrier, à l’aide de chiens. Les animaux sont très souvent mordus et extirpés avec une grande pince métallique, puis tués avec un fusil ou une arme blanche. Selon l’ASPAS, elle induit chez l’animal du stress et de la terreur durant plusieurs heures, le temps que les chasseurs creusent le terrier.
  • la chasse au vol : elle consiste à attraper un petit animal à l’aide d’un rapace qui a été dressé.
  • la chasse à l’arc : il s’agit d’une chasse à tir pratiquée avec un arc, plus proche des animaux qui se trouvent au sol ou en vol. Selon LFDA, l’animal touché meure rarement sur le coup et divague « pour mourir dans un délai qui dépend du temps que le chasseur met pour le trouver et l’achever » (cette pratique est interdite au Royaume-Uni depuis 1965).

Mais il existe bien d’autres types de chasse comme la chasse en captivité (les animaux sont élevés, puis introduits dans un parc ou un enclos pour y être chassés), la chasse sous-marine, etc.

Est-ce que la chasse est légale ?

La chasse est légale si elle respecte la loi et les différents règlements (ils encadrent les espèces chassables ; les périodes de chasse ; où, quand et comment chasser selon les lieux ; etc.), sinon il s’agit de braconnage.

Pour autant, cette activité est ambivalente. Voici deux exemples.

D’après l’article L.422-1 du Code de l’Environnement « Nul n’a la faculté de chasser sur la propriété d’autrui sans le consentement du propriétaire ou de ses ayants droit« , mais c’est pourtant au propriétaire d’effectuer les démarches pour que son terrain ne fasse plus partie d’une Association (Inter)Communale de Chasse Agrée (ACCA et AICA).

📃 En France, pour interdire la chasse sur sa propriété, il faut tout d’abord contacter la Direction Départementale des Territoires (DDT) pour connaître le renouvellement de l’ACCA qui a lieu tous les 5 ans. Puis, la demande doit être envoyée au président de la fédération des chasseurs du département six mois avant le terme de la période de renouvellement, par le biais d’un courrier recommandé avec accusée de réception. Ensuite, la fédération de chasse dispose de 4 mois pour délivrer une attestation confirmant que le terrain est sorti de la zone de chasse.

S’il n’y a pas d’ACCA, le président de la fédération doit malgré tout en être informé et des panneaux doivent être installés pour informer du non-consentement du propriétaire.

La LPO et l’ASPAS peuvent aiguiller au déroulement des démarches.

Second point, en France, les chasseurs ont le droit de tuer des oiseaux et autres animaux pourtant menacés d’extinction selon Libération. Comme le relève Le Parisien, « sur les 64 espèces d’oiseaux chassables, 20 sont placés sur la liste rouge de l’Union internationale de la protection de la nature« . Toutefois, il faut rappeler que l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) n’est pas une réglementation, mais « un outil scientifique permettant de connaître l’état de conservation des espèces » comme l’explique l’écologue Florian Kirchner au journal.

Il existe des concours de chasse

Les concours de chasse sont organisés par les associations de chasse, du moins pour la France.

Les chercheurs Frédéric Guyon et Julien Fuchs expliquent d’ailleurs que la chasse a intégré une logique de performances (comme les sports traditionnels) : tableau de chasse, calcul de points, photos et présentations pour garder le souvenir de l’événement, etc.

Des chasseurs posent pour une photo après avoir déterré des blaireaux
Des chasseurs posent pour une photo après avoir déterré des blaireaux – © Faune Sauvage

Alors, est-ce que la chasse est un sport ? 🤔

Et bien, ce n’est pas si simple.

Tout d’abord, comment pourrait-on définir le sport ?

Dans sa Charte européenne du sport, le Conseil de l’Europe définit le sport comme « […] toutes formes d’activités physiques qui, à travers une participation organisée ou non, ont pour objectif l‘expression ou l’amélioration de la condition physique et psychique, le développement des relations sociales ou l’obtention de résultats en compétition de tous niveaux« .

Une autre notion du sport est celle de l’éthique qu’elle véhicule : une morale à tenir, le respect d’un ensemble de règles, la loyauté vis-à-vis de ses concurrents, etc. Et l’on vous a d’ailleurs certainement répété que le plus important est de participer. Cette maxime tire son origine d’une citation (on vous livre la version longue) de Pierre de Coubertin (historien, pédagogue et fondateur du Comité international olympique) : « Le plus important aux Jeux olympiques n’est pas de gagner, mais de participer, car l’important dans la vie ce n’est point le triomphe, mais le combat : l’essentiel, ce n’est pas d’avoir vaincu, mais de s’être bien battu« .

Alors qu’en est-il de la chasse ?

La chasse est présentée comme sportive selon la notion du sport qui est mobilisée :

  • par les efforts physiques : les techniques à mettre en oeuvre et à maîtriser, les distances parcourues, les difficultés à surpasser, la fatigue qu’elle engendre, les équipements à acquérir, etc.
  • par sa réglementation et ses valeurs : la discipline est encadrée par une fédération, un code et des règles à respecter, et les licenciés doivent obtenir un permis pour pouvoir exercer. La chasse est organisée au niveau local, départemental, régional et national. D’ailleurs, comme l’expliquent Guyon et Fuchs, ces différents cadres réglementaires permettent d’institutionnaliser et de rendre acceptables les pratiques de chasse, et ainsi d’attirer un plus large public. Ce n’est pas tout, beaucoup de chasseurs expliquent qu’il y a des règles à respecter, qu’ils sont loyaux vis-à-vis de l’animal et le respectent.

🎖️ Lors de la première édition des Jeux olympiques modernes, en 1900, le tir au pigeon (vivant) faisait partie des épreuves sportives, comme l’explique France TV Info. Toutefois, Sylvain Bouchet, historien et spécialiste des Jeux Olympiques, explique pour le média que cette édition est particulière : « ce n’étaient pas des Jeux olympiques en soi« , car cette édition devait « produire du spectacle, de la fête« . Cette discipline a ensuite disparu du programme olympique.

À première vue, la chasse pourrait donc être considérée comme un sport. Cependant, plusieurs points nuancent cette position, voire la contredit.

La chasse comme activité sportive : pas si sûr

En premier lieu, selon les domaines, la chasse n’est pas classée comme une pratique sportive, comme le soulèvent Guyon et Fuchs, on la retrouve, par exemple, dans le rayon « nature » en librairie. Et elle ne figure pas dans la liste du site du ministère des Sports.

La chasse en tant que loisir a été interdite dans certains pays comme l’Inde, le Costa Rica, le Kenya ou encore le canton de Genève. De plus, certains types de chasse ont également été abolis, comme la chasse à courre au Royaume-Uni et en Allemagne, la chasse à l’arc ou bien la chasse à la glu en France.

Concernant l’effort physique, il semble que dans certaines pratiques de chasse, le chasseur semble plus attendre que se dépenser physiquement, comme c’est le cas pour la chasse à l’affût ou parfois lors d’une battue où il est posté au sol ou dans un mirador*.

De plus, les pratiquants et les institutions ont tendance à euphémiser cette pratique qui consiste à tuer pour la présenter notamment comme un jeu technique : « prélever » (à la place de tuer), « jeu avec l’animal » (paragraphe 36 du texte de Guyon et Fuchs), « partie de chasse », « prélèvement » ou « tableau de chasse » (pour parler des animaux tués), « un art » (page 104), « chasser le plus possible en tuant le moins possible« , etc. Les symboles de violence sont absents ou minimisés.

Enfin, les animaux font partie de la chasse. Par leurs comportements, ils définissent le déroulement d’une partie de chasse (leur choix de fuite, leur endurance, etc.). Ne faudrait-il donc pas les considérer comme des participants au sport que serait la chasse ? Si on les considère comme tels, quand ont-ils donné leur consentement ? D’une part, leur comportement de fuite laisse suggérer qu’ils ne consentent pas et, d’autre part, pour qu’une pratique puisse être considérée comme sportive, il faut qu’il y ait un consentement éclairé de tous les participants. Conformément au fait que le sport a des valeurs morales, peut-on dire que la chasse est une pratique sportive qui s’exerce sur des individus, alors que ces derniers n’ont pas décidé de participer ?

📑 *Un mirador est une cabane ou un siège surélevé dissimulant l’occupant et permettant d’observer les alentours à plusieurs mètres de hauteur.

Quand la chasse a-t-elle été considérée comme un sport ?

Mais alors comment en est-on arrivé à ce que certains et certaines considèrent la chasse comme une activité sportive ?

Guyon et Fuchs mentionne le sociologue Jean-Louis Fabiani pour qui « la chasse passe au début des années 1980 d’une activité paysanne marquée par des prélèvements de type utilitaire à une activité sportive dotée d’un académisme conforme au modèle aristo-bourgeois. La nouvelle image du chasseur qui se diffuse ici plébiscite un loisir pratiqué comme un sport codifié, comprenant le fair-play envers l’animal, le développement d’une gestion rationalisée de la pratique, la valorisation du côté désintéressé de celle-ci« .

Ce n’est pas tout, comme l’expliquent Guyon et Fuchs, de par « la domination urbaine sur le monde paysan et ses activités« , des critiques ont émergé sur les différentes pratiques de prédation, dont la chasse, en avançant le fait que « l’environnement est d’abord un paysage et non une ressource« .

Afin de s’en prémunir, les chasseurs ont mis en place des stratégies pour valoriser leur pratique : entre autres, la présenter et la considérer comme un sport – l’effort physique serait un moyen de légitimer cette activité -, mais aussi la présenter comme un sport permettant un rapport privilégié à la nature selon Ludovic Ginelli. Faisant référence à l’article d’Olivier Bessy et Michel Mouton, les chercheurs notent que les pratiques sportives en plein air sont d’ailleurs particulièrement valorisées. Ainsi, les chasseurs rendent « légitime et utile des pratiques initialement contestées sur le plan social« .

Selon Guyon et Fuchs, « cette orientation sportive des institutions organisant les activités de prédation est une stratégie récente » (leur texte date de 2012). Cela pourrait s’expliquer par l’arrivée de nouvelles générations de dirigeants au sein des fédérations, mais aussi de la place plus importante de l’écologie et de la nature dans les débats publics.

Enfin, comme le rappellent les chercheurs, « le droit à la pratique sportive est reconnu comme une liberté« , les chasseurs peuvent donc utiliser leur statut de « sportifs » pour revendiquer leur pratique.

Quelles sont les alternatives à la chasse ? 🔀

Certains chasseurs mettent en avant différents aspects qu’ils apprécient tout particulièrement lorsqu’ils pratiquent la chasse : la recherche de l’effort et de la performance, l’exploration, la traque, la convivialité, l’atteinte de leur cible, etc.

Il existe des alternatives qui ont ces mêmes caractéristiques et permettent de ne pas blesser ou donner la mort, en voici quelques-unes :

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